Dans cet entretien, Eric Sibony, Chief Scientist et Chief Product Officer chez Shift, nous livre son regard sur l’IA agentique. Dans cet échange, il décrypte les différents types d’IA que les assureurs peuvent mobiliser, partage les cas d’usage les plus pertinents et explique comment Shift Technology l’intègre concrètement dans ses produits.
Il y a actuellement beaucoup d’engouement sur le marché autour de l’IA agentique. Et qui dit engouement, dit souvent confusion. Alors, qu’est-ce que l’IA agentique et en quoi diffère-t-elle des autres types d’IA que les assureurs connaissent déjà ?
La façon la plus simple de comprendre l’IA agentique est de la considérer comme une intelligence artificielle conçue pour l’automatisation complexe. J’aime utiliser l’exemple des navettes sans conducteur dans les aéroports : elles transportent les passagers d’un terminal à un autre. C’est de l’automatisation, mais une automatisation simple : le train s’arrête au bon endroit, les portes s’ouvrent… rien de très sophistiqué pour que cela fonctionne.
L’IA agentique, c’est plutôt l’équivalent des véhicules autonomes. Il ne s’agit plus d’aller simplement du point A au point B en ligne droite. Il faut naviguer dans un environnement complexe : respecter les feux rouges, éviter les piétons et les autres véhicules, suivre le code de la route… Chaque étape nécessite une analyse fine des données : est-ce un stop ou un cédez-le-passage ? Doit-on s’arrêter ou simplement ralentir ? C’est ce niveau de complexité que l’IA agentique est capable de gérer.
Maintenant, comment est-ce que l’IA agentique se différencie des autres formes d’IA?
Le machine learning, ou l’IA prédictive, est excellente pour agréger des données et fournir un score, par exemple un score de suspicion de fraude, ainsi que les facteurs qui y ont contribué. Le problème, c’est qu’il ne sait pas quoi faire de ce score une fois produit.
L’IA générative, elle, analyse les données dans le but de produire quelque chose : un résumé de documents de sinistre, une liste d’étapes pour un enquêteur, ou un email à l’assuré. Même si elle va plus loin que le machine learning en termes d’automatisation, ses tâches restent assez simplistes, centrées sur l’extraction et la classification des données.
L’IA agentique change réellement la donne : elle peut enchaîner des actions complexes, prendre des décisions étape par étape, et agir presque comme un collaborateur. La plupart d’entre nous effectuent encore ces étapes manuellement, même lorsque nous utilisons un comparateur en ligne. Avec l’IA agentique, il suffit par exemple de simplement dire : « Peux- tu me réserver un vol Paris-Boston le 1er janvier 2026 » et quelques paramètres de votre choix, et l’IA identifie les options qui vous conviennent le mieux, sécurise la réservation et fournit les informations de paiement. Exactement comme si vous aviez demandé à un assistant humain de réserver votre billet.
La différence principale : avec un LLM (chatbot, copilote…), on pose une question et on obtient une réponse. Avec un agent, on formule une requête et il exécute une action. Voilà la manière la plus simple de comprendre ce dont l’IA agentique est capable.
Comment les assureurs devraient-ils envisager l’IA agentique ? Existe-t-il des cas particulièrement adaptés et d’autres où elle serait moins recommandée?
Les assureurs devraient considérer l’IA agentique comme une « IA pour l’automatisation complexe ». Elle peut raisonner, enchaîner des actions en plusieurs étapes et agir sur des données structurées comme non structurées, qu’il s’agisse des données propres à l’assureur ou de sources externes.
Les cas d’usage idéaux se trouvent tout au long du cycle de vie d’un sinistre : priorisation, recommandation des meilleures étapes à suivre, prise en compte de l’urgence de l’impact, facilitation des recours, ou encore tâches nécessitant de faire des liens entre documents et résultats passés. L’IA agentique montre tout son potentiel lorsqu’elle intervient sur des tâches demandant adaptation et jugement, et non sur une simple prédiction.
En revanche, elle est moins adaptée aux workflows simples et déterministes, comme la demande d’un rapport de police ou des tâches de scoring pur, où l’apprentissage automatique traditionnel reste plus rentable et fiable.
Il est donc crucial pour les assureurs de coupler l’IA agentique à des contrôles spécifiques à chaque domaine, à un mécanisme de recours comme « je ne sais pas » pour éviter que l’agent n’invente des réponses, et à des vérifications en collaboration entre l’IA et l’humain. Cette approche limite les hallucinations et garantit la fiabilité.
Comment Shift envisage l’IA agentique ?
Shift voit l’IA agentique comme une automatisation puissante, capable de raisonner, d’exécuter des actions en plusieurs étapes et de combiner des données non structurées et externes. Nous savons aussi que l’IA, en assurance, n’est pas une solution universelle : il faut appliquer le bon type d’IA aux bons enjeux.
Notre approche a été conçue pour faciliter l’adoption de l’IA agentique par les assureurs : les agents sont intégrés directement dans Shift Claims, pour que les assureurs n’aient pas à les créer eux-mêmes ; les modèles génératifs/agentiques sont associés à du machine learning traditionnel pour le scoring ; et le tout est enveloppé dans une couche de fiabilité spécifique à l’assurance, qui empêche les hallucinations, impose des contrôles, permet un recours explicite à la solution « je ne sais pas » et assure une collaboration continue entre l’IA et l’humain. Les agents sont concentrés sur les sinistres complexes et à forte variance, ainsi que sur la priorisation, tandis que les modèles sont continuellement affinés pour améliorer la sécurité et plus de précision dans les décisions métier.
Pourquoi l’IA agentique dans Shift Claims est-elle particulièrement adaptée à la transformation des sinistres ?
Parce qu’elle gère la complexité et la variabilité des sinistres réels. Elle peut analyser des notes, documents, emails, photos ou images, comparer les sinistres en cours à des résultats historiques, exécuter des actions en plusieurs étapes et recommander la prochaine action en tenant compte du timing et de l’urgence.
Le résultat : des décisions plus efficaces et cohérentes, un traitement plus rapide, et une réduction mesurable des charges sinistres, tout en gardant le contrôle complet entre les mains des assureurs.